mercredi 5 mars 2008

À 4 200 MÈTRES D’ALTITUDE • Sur la voie royale des Incas

Courrier International n° 682 - 27 nov. 2003

Pour contrôler leur Empire, les Incas ont bâti un réseau de routes de plus de 45 000 km que leurs messagers parcouraient au pas de course. Aujourd’hui, l’Equateur, après le Pérou, veut restaurer ces chemins. Etes-vous prêt à marcher à travers les Andes par temps frais ?


Les Incas ont été - plusieurs siècles avant l'arrivée des Espagnols - les véritables bâtisseurs des routes d'Amérique du Sud. Comme le dit le poète espagnol Antonio Machado [1835-1939] : "Ils ont fait le chemin en marchant", construisant un réseau routier étendu, véritable autoroute andine du passé. Grâce au "Chemin de l'Inca", les messagers de l'Empire, qui étaient d'excellents coureurs, pouvaient parcourir jusqu'à 200 km par jour et relier la côte du Pacifique aux Andes en quelques heures. On dit que l'Inca pouvait, dans les montagnes, déguster du poisson frais et des spondyles (coquillages) pêchés le jour même. Cinq siècles plus tard, les vestiges de cette voie royale subsistent encore dans les montagnes équatoriennes et nous rattachent à l'Histoire. En tout, les Incas ont bâti plus de 45 000 kilomètres de routes (voies principales et secondaires) qui leur permettaient d'aller de Pasto [au sud de la Colombie] jusqu'au nord de l'Argentine. Avec ses 6 600 km, la voie principale était bien plus longue que la célèbre voie Appia [de Rome à Brindisi] construite par les Romains. Pour parcourir l'Incañan [le sentier impérial], il faut aimer l'aventure, avoir un caractère intrépide et être prêt à marcher des kilomètres et des kilomètres à plus de 4 000 m d'altitude. Rien n'empêche alors d'emprunter le monumental réseau routier qui reliait l'ancien Empire du Tahuantinsuyo - dont le centre était Cuzco - au royaume de Quito et à l'antique cité de Tomebamba, qui porte aujourd'hui le nom de Cuenca.

La partie équatorienne du Chemin de l'Inca ne présente aucun danger ; mais le brouillard qui règne à cette altitude et l'absence de signalisation le rendent difficile d'accès. L'aide d'un guide est donc nécessaire : celui-ci dira au marcheur comment il doit se vêtir (la température oscille entre 6 et 11 °C), quel type de nourriture il faut emporter et quelle partie du chemin répondra le mieux à ses désirs. La première partie du voyage va du village d'Achupallas, dans la province du Chimborazo, tout près d'Alausí, jusqu'à Ingapirca, dans la province de Cañar via les ruines de Coyoctor. On passe ensuite par Cojitambo avant d'arriver dans la province de l'Azuay. Le voyageur qui n'est pas préparé à passer la nuit en altitude mais qui s'intéresse à l'archéologie pourra partir du lac de Culebrillas et parcourir les 20 km qui le séparent d'Ingapirca à pied ou à cheval. Outre les ruines incas, il pourra admirer toute la beauté de la nature environnante, notamment les impressionnantes cascades. Conscient de l'importance archéologique des ouvrages incas, le conseil provincial du Chimborazo [province du centre de l'Equateur dont la capitale est Riobamba] a instauré le projet "Route de l'Inca", dont l'exécution a été confiée il y a deux ans à cinq étudiants en écotourisme et en archéologie de l'Ecole supérieure polytechnique du Chimborazo. Avant l'Equateur, le Pérou s'était déjà lancé dans une entreprise similaire : la consigne est que les pays qui ont hérité du Chemin de l'Inca se doivent de le restaurer.

Site d'Ingapirca, Equateur


Le réseau routier inca s'est développé au fur et à mesure que l'Empire s'étendait. Son but était de permettre l'établissement de relations commerciales entre les populations. Les voies mesuraient jusqu'à 3 mètres de large et s'adaptaient à la géographie de la zone qu'elles traversaient. Elles étaient faites de blocs de pierre, encore visibles aujourd'hui, maintenus par un mélange d'argile, de graviers et de plâtre qui remplissait la même fonction que le ciment utilisé à l'heure actuelle dans la construction. Aujourd'hui, le touriste marchant sur les traces des Incas ne trouvera pas de chemin parfaitement délimité : la plupart des pierres sont cachées par l'orejuela (Alchemilla orbiculata), ce tapis végétal caractéristique du haut plateau andin. Mais le tracé des anciennes voies, qui apparaît à la surface du sol, montre clairement qu'elles avaient été construites dans le but de contrôler les vallées et les rivières qui fécondent la région.

Les ruines du Coyoctor, que l’on désigne communément sous le nom de “bains de l’Inca”.


Le premier archéologue à emprunter le Chemin de l'Inca a été un chroniqueur espagnol, Cieza de León, qui a effectué la traversée Cuzco - Quito en presque dix ans pour étudier en détail les pratiques des habitants de ces contrées et leurs secrets. "Je ne m'explique pas comment ils ont pu faire des chemins aussi grands et aussi magnifiques, ni avec quels outils ils ont réussi à aplanir les montagnes et briser les rochers", s'étonne-t-il. Le père Juan de Velasco, le plus ancien narrateur de l'histoire équatorienne, affirme quant à lui que le lac de Culebrillas était un lieu sacré pour les Incas et qu'il recèle un complexe archéologique qui n'a pas encore été exploité.

Le lac sacré de Culebrillas sur le chemin d’Ingapirca.


Tous les 5 kilomètres, le long du chemin, se dressent des petites constructions, les tambos, sorte d'auberges royales où les chasquis [les infatigables coureurs] se reposaient et remettaient les messages au coureur suivant. Les tambos situés tous les 20 kilomètres sont plus importants, leurs ruines sont notamment visibles entre Achupallas et Ingapirca. Selon Antonio Carrillo, un archéologue de la province de Cañar, ex-directeur de l'Institut du patrimoine de l'Austro, qui a fait l'inventaire des sites archéologiques de la région, aucun n'a été correctement restauré - à l'exception d'Ingapirca - parce qu'il n'existe pas de politique gouvernementale destinée à promouvoir ce type de tourisme. "Les Equatoriens ne savent pas ce qu'ils possèdent, ni ce qu'ils ont été par le passé", affirme-t-il. Les possibilités touristiques sont donc nombreuses, mais elles ne sont pas encore exploitées. Par exemple, les ruines du Coyoctor, à 3 kilomètres d'El Tambo, au pied du mont Yanacuri, forment un site de 50 hectares lié à Ingapirca et témoignent de la présence des Incas dans la province de Cañar. Le lieu est accessible par un chemin carrossable, et l'on y voit très bien comment les Indiens ont sculpté la roche pour réaliser ce que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de "bains de l'Inca". Ce site archéologique, dont les terrains appartiennent à la famille Carrasco, est en cours de restauration à l'heure actuelle. Il avait été détruit en 1964 lorsque les propriétaires décidèrent d'y construire deux maisons.

A 4 000 mètres d’altitude, un tambo, ancienne auberge qui servait de relais aux messagers de l’Inca.


A l'ouest d'Azogue se trouvent les ruines de Cojitambo, perchées sur une colline où, d'après les historiens, se réfugiait Tupac Yupanqui, l'instigateur de la politique de conquête de l'Empire, lorsqu'il était poursuivi par les Cañaris. La grande place où avaient lieu les cérémonies religieuses est encore visible. Aucun budget n'a été prévu pour entretenir les ruines, mais Antonio Carrillo a réalisé une étude topographique de l'endroit, et la restauration du mur de soutènement a été entamée. M. Carrillo a formé un groupe d'Indiens pour remettre en état cette construction inca adossée à la roche, et des pièces de la culture indienne ont été trouvées au cours des travaux de terrassement et de débroussaillage. Les provinces du Chimborazo, de Cañar et de l'Azuay sont riches en Histoire et en vestiges du passé. Il est urgent de les inclure dans un projet global de sauvegarde et de développement social et touristique qui permettra de les restaurer et de mettre en place une signalisation, ainsi que des voies d'accès, pour les transformer en source de revenus pour les populations locales. Aujourd'hui, plus de cinq siècles après leur création, il est possible de parcourir les mêmes chemins que les Incas et de s'émerveiller de l'ingéniosité et du courage de ce peuple qui a bâti l'un des plus grands Empires d'Amérique.

Mariana Romero
Vistazo

Carnet de route
Y ALLER:
De nombreuses compagnies desservent les aéroports de Quito et de Guayaquil, mais aucune d’entre elles ne propose de vol direct depuis la France. Il faut donc prévoir une escale ou une correspondance aux Etats-Unis, en Amérique du Sud ou dans les Caraïbes. Air France propose ainsi un vol Paris – Quito via Cayenne à partir de 700 euros aller-retour en basse saison.

SE LOGER:
L’Equateur est l’un des pays les moins chers d’Amérique latine. D’une année à l’autre, les prix des transports, des hôtels et des restaurants varient à la hausse ou à la baisse dans des proportions importantes (jusqu’à 50 %). Il faut compter en moyenne entre 3 et 14 euros en catégorie “économique” et entre 15 et 50 euros pour un hôtel tout confort.

SE RESTAURER:
Quelques spécialités équatoriennes à ne pas rater : les caldos, soupes copieuses ou ragoûts, le cuy(cochon d’Inde) et le lechón(cochon de lait) grillés, et les llapingachos(crêpes de pommes de terre et de fromage). Sur la côte, la spécialité est le ceviche, une préparation à base de poisson ou de crevettes, marinée dans du jus de citron, de l’ail, de l’oignon, des piments et de la coriandre. De nombreux jus de fruits frais sont excellents, notamment celui de "tomate de arbol", mais la boisson traditionnelle reste la chicha, une bière de maïs. Un repas coûte 1 euro au minimum, de 5 à 28 euros dans un restaurant standard, et plus de 28 euros dans un établissement chic.

À VOIR:
Troisième ville du pays, fondée en 1557 par les Espagnols, Cuenca, classée au Patrimoine culturel de l’humanité par l’UNESCO, est l’une des plus jolies villes du pays. Au cœur de la ville, le quartier colonial, avec ses maisons, ses églises et ses places ombragées qui donnent un charme particulier au lieu. La fabrication des panamas – les chapeaux traditionnels tissés à la main – a assuré la prospérité de la communauté indienne locale, dont les femmes portent de superbes jupes en velours brodé. A 50 kilomètres au nord de Cuenca se trouvent les ruines d’Ingapirca, le site précolombien le mieux conservé d’Equateur. L’arrivée au lever du soleil, par le Chemin de l’Inca, après trois jours de randonnée vaut le voyage. Au cœur du site, le temple du Soleil et les observatoires solaires sont riches en informations sur la culture inca. Dans les environs, le site du lac de Culebrillas, où il est possible de pratiquer la chasse et la pêche. C’est aussi dans la région que se trouve le plus haut sommet d’Equateur, le Chimborazo, qui culmine à 6 310 mètres d’altitude au nord de Riobamba. Si son ascension est réservée aux alpinistes chevronnés, tout le monde peut avoir accès à la réserve naturelle, qui accueille une faune exceptionnelle. Alpagas, lamas et vigognes se partagent ce magnifique territoire. Sur le chemin du retour, ne pas manquer l’inoubliable voyage en train d’Alausí à Guayaquil, qui passe par le célèbre Nez du diable, où le convoi semble suspendu entre ciel et terre, à une hauteur vertigineuse.

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